Il s'agît de l'Anthologie de la poésie tchèque de Hanuš Jelínek (1930), actualisée et complétée. Sauf mention spéciale, les traductions sont de M. Jelínek.
Page en cours d'élaboration (2001).
Toute aide : textes, conseils, traductions... seront les bienvenus.
( 10e siècle )
Elu en 982 second évêque de Prague, Saint Adalbert était une des plus illustres personnes de son époque; certains historiens lui attribuent une chronique signée Kristian, ainsi que le chant O Domine, miserere, une sorte de hymne national. D'autres pensent, que ce chant est plus ancien, adapté du vieux slave.
Martyr des païens de Prusse Orientale (997), St Adalbert est le patron de l'état polonais catholique: sur sa tombe il fut créé en 1000 l'évêché de Cracovie.
Původní česká hymna (kolem 10e s.)Hospodine pomiluj ny
Hospodine, pomiluj ny, |
Hymnus S. WoytiechiO Domine, miserere
O Domine, miserere, |
Au 12e siècle apparu le Chant de la Saint Venceslas, d'un auteur inconnu, qui durant des siècles a servi de réconfort dans les moments difficiles pour la nation.
Původní česká hymna (asi z 12e s.)Svatý Václave
Svatý Václave, |
Hymne tchèque (depuis 12e s.)Ô, Saint Venceslas
O, Saint Venceslas, |
L'hymne national tchèque vient du théâtre. A la suite de la forte germanisation au 18e siècle, le théâtre en langue tchèque n'existait pratiquement pas. En 1834 J. K. Tyl a écrit une opérette contenant une scène, où un chanteur aveugle décrit à une jeune fille le chemin pour retrouver sa maison. Sans se concerter, les spectateurs se levaient en silence. Les autorités autrichiennes ont interdit la pièce, mais la notoriété de la chanson était acquise.
( 1306 )
Probablement inspiré par la Legenda aurea de Jacques de Voragine, un prêtre inconnu a écrit un cycle de légendes de la vie des personnages du Nouveau Testament, néanmoins très originales par leur forme et par la beauté de la langue. Seuls quelques fragments se sont conservés.
Cyklus LegendLegenda o Iudaschovi/ . . . / |
Les légendes (vers 1306)La légende de Judas/.../ |
(1793-1852)
Slovaque d'origine, Kollár étudia à l'Université d'Iéna.
Jeune théologien protestant, il assista à l'imposante manifestation de la jeunesse romantique allemande à la Wartburg (1817).
C'était l'époque de la plus grande effervescence patriotique en Allemagne. Élève de professeurs herdériens et rousseauistes, Kollár prit conscience, ainsi que son ami, le futur savant Šafařík, de son origine slave. Leur patriotisme prend une teinte d'exaltation, fortifiée encore de souvenirs historiques. Dans les environs d'Iéna, Kollár trouve partout, dans les noms des villages, des villes et des rivières, les traces des tribus slaves exterminées ou germanisées.
Devant ses yeux éblouis par les rêves humanitaires de la philosophie herdérienne, la vision grandiose se dressa d'une Slavie future réunissant les millions de Slaves déchirés par les discordes, éloignés de la civilisation, pour en faire un seul peuple, fort et jeune, destiné à jouer un rôle brillant dans l'histoire et à inaugurer le règne de la fraternité et de l'amour.
S'étant épris d'une jeune fille, il voit en elle une personnification de la race éteinte et, dans son imagination, la fiancée du poète se transforme peu à peu en une sorte de génie protecteur des Slaves, la "fille de Slava".
Le poème qui porte ce titre est une longue série de sonnets (645). C'est comme un pèlerinage child-haroldesque à travers les pays slaves, où se mêlent des réminiscences de la Divine Comédie. Si l'oeuvre, dans son ensemble, est manquée, il n'en reste au moins quelques sonnets d'un beau pathétique, d'une sagesse pondérée, et surtout, le Prologue qui est une douloureuse et sombre rhapsodie.
Le panslavisme de Kollár, bien que chimérique, fut, non seulement pour les Tchèques, mais aussi pour les autres nations slaves opprimées, d'un précieux réconfort moral.
Oh ! la voilà donc, devant mes yeux noyés de larmes, cette terre,
berceau jadis, aujourd'hui tombeau de ma nation !...
De l'Elbe traîtresse aux plaines de l'infidèle Vistule,
du Danube aux yeux écumants de la dévorante Baltique,
la langue harmonieuse des vaillants Slaves retentissait jadis.
Victime de l'envie, elle est aujourd'hui muette.
Qui donc a commis ce rapt impardonnable ?
Qui donc a, dans un seul peuple, déshonoré toute l'humanité ?
Rougis, jalouse Teutonie, voisine de la Slavie :
ce sont tes mains qui, autrefois, ont commis tous ces attentats.
Jamais, en effet, ennemi plus implacable n'a fait
couler autant de sang que l'Allemand n'en a répandu pour anéantir le Slave.
Celui-là seul est digne de la liberté qui respecte la liberté de chacun ;
celui qui met les esclaves aux fers est lui-même un esclave.
Que, par ses entraves, il asservisse la main ou la langue,
c'est tout un, car il ne sait pas respecter les droits d'autrui...
Qu'êtes-vous devenus, chers peuples Slaves qui habitiez ici,
peuples qui vous désaltériez sur les rivages de la Poméranie ou sur les rives de la Saale ?...
Je regarde au loin, à ma droite ; à gauche je jette un regard aigu :
c'est en vain que dans la Slavie mon oeil cherche un Slave.
(traduit par Jules Chopin)
Aj, zde leží zem ta před okem mým slzy ronícím,
někdy kolébka, nyní národu mého rakev.
Stůj noho, posvátná místa jsou, kamkoli kráčíš,
k obloze, Tatry synu, vznes se, vyvýše pohled !
Neb raději k velikému přichyl tomu tam se dubisku,
jež vzdoruje zhoubným až dosaváde časům.
Však času ten horší je člověk, jenž berlu železnou
v těchto krajích na tvou, Slávie, šíji chopil.
Horší nežli divé války, hromu, ohně divější
zaslepenec, na své když zlobu plémě kydá.
Ó věkové dávní, jako noc vůkol mne ležící,
ó krajino všeliké slávy i hanby plná !
Od Labe zrádného k rovinám až Visly nevěrné,
od Dunaje k hltavým Baltu celého pěnám,
krásnohlasý zmužilých Slovanů kde se někdy ozýval,
aj, oněmělť již, byv k úrazu zášti, jazyk !
(1817)
Le Manuscrit de Králové Dvůr, ainsi que Le Manuscrit de Zelená Hora sont des manuscrits de poèmes épiques et lyriques qu'on datait de la moitié du 13e siècle, et qui furent trouvés en 1817. La découverte fut saluée par un enthousiasme général. Ils furent traduit dans toutes les langues européennes ; Goethe lui-même ne cachait pas son admiration pour ces poèmes qui semblaient le fragment d'un vaste recueil de la vieille poésie tchèque.
En fait, il s'agît vraisemblablement d'une supercherie patriotique analogue à celle de Macpherson en Angleterre ou à celle de Vrain-Lucas en France. Les savants groupés autour de T. G. Masaryk prouvèrent que les auteurs probables sont Joseph Linda, pour les poèmes épiques, et Václav Hanka, pour les poèmes lyriques.
Pourtant, les Manuscrits ont joué dans l'histoire du mouvement national tchèque un rôle des plus importants. Ils ont inspiré des oeuvres les plus représentatives de l'art et de la musique tchèques, ils ont fortifié, pendant soixante ans, la conscience patriotique dans le pays. La lutte qui s'engagea autour d'eux en 1885 et qui fut menée au nom de la vérité contre le mensonge, au nom de la raison critique contre le chauvinisme, contribua puissamment au développement intellectuel de la Bohême moderne.
Les Manuscrits ont paru dans la traduction française de Louis Léger en 1866 sous le titre : Chants héroïques et Chansons populaires des Slaves de Bohême (Paris, Librairie Internationale).
Ah ! Rose, belle rose !
Pourquoi t'est-tu épanouie si tôt ?
Epanouie, pourquoi as-tu gelé ?
Gelée, pourquoi t'es-tu fanée ?
Fanée, pourquoi t'es-tu effeuillée ?
Le soir, je me suis assise : longtemps,
Jusqu'au chant du coq je suis restée,
et dans ma vaine attente,
j'ai brûlé tout mon bois de résine.
Je me suis endormie. J'ai fait un rêve.
Infortunée, j'ai rêvé qu'une bague d'or
a glissé du doigt de ma main droite
et que la pierre précieuse en est tombée.
Je n'ai plus retrouvé la pierre.
Mon bien-aimé n'est pas venu.
(1799-1852)
Čelakovský, François-Ladislas (pron. Tchélakovski), fut d'abord précepteur dans plusieurs familles nobles de Bohême, rédacteur de plusieurs journaux, professeur de langues slaves à l'Université de Breslau (1841), puis à l'Université de Prague (1849). Avec Jan Kollár, Čelakovský est le fondateur de la poésie tchèque moderne. Partisan des théories de Herder sur la poésie populaire, il se consacra dès sa jeunesse à l'étude de la poésie populaire slave et publia, de 1822 à 1827, trois volumes de Chants populaires slaves suivis d'un recueil de Chants lithuaniens et d'un beau recueil de 15.000 proverbes et dictons populaires : La Philosophie du peuple slave en proverbes, disposés d'après la méthode comparative (1852), rééd. en 1893 et en 1910.
Dans les chants populaires, Čelakovský trouva une source limpide d'inspiration poétique : l'Écho des Chants russes (1829) et l'Écho des Chants tchèques (1859) sont des chefs-d'oeuvre et donnent, avec un art très sûr, l'essence même de la psychologie des deux peuples. Parmi les autres oeuvres de Čelakovský, citons encore : La Rose aux cent feuilles (1840), recueil de poésies et un grand nombre d'épigrammes, genre où il excellait, ainsi qu'une volumineuse correspondance, très importante pour la connaissance de son époque.
Ohlas písní českýchToman a lesní panna
Večer před svatým Janem |
Écho des chansons tchèquesToman et la fée
La veille de la Saint-Jean, |
Panna jenom snoubená |
|
(1821-1856)
(Pron. Havlitchèque). Les paroles d'un croyant, de Lamennais, éveillèrent l'esprit de révolte chez ce jeune séminariste. Fidèle à l'évangile de slavisme de Kollar, il part pour la Russie d'où il revient, un an et demi plus tard, guéri du panslavisme et ennemi juré de tout absolutisme, mais admirateur de Gogol. Havlíček est le véritable fondateur du journalisme politique et de la critique littéraire en Bohême. Élu député à la Diète et au Parlement de Vienne en 1848, il devient le porte-parole du mouvement national tchèque. Il fonde le journal Národní Noviny et, après sa suppression, le Slave, où il attaque héroïquement la réaction absolutiste en Autriche. En décembre 1851, sur l'ordre du ministre Bach, il est déporté et interné à Brixen dans le Tyrol. Séparé de sa patrie et des siens, il tombe malade et ne revient dans son pays que pour y trouver le tombeau de sa femme et pour l'y suivre.
Esprit très indépendant et courageux, disciple et traducteur de Voltaire, il combattait l'obscurantisme ultramontain avec la même véhémence que la réaction politique et l'oppression nationale exercée par le gouvernement de François-Joseph. Son ouvrage satirique en vers : Le baptême de Saint Vladimir, est étincelant de verve et d'esprit ; ses Élégies Tyroliennes, où il raconte, sous forme humoristique, son voyage d'exil, sont, avec Mes Prisons, de Silvio Pellico, la plus terrible dénonciation du despotisme autrichien.
Tyrolské elegieI.
Sviť, měsíčku, polehoučku |
Élégies TyroliennesI.
Regarde, ma petite lune, tout doux |
II.
Jsemť já z kraje muzikantů, |
II.
Car je suis du pays des musiciens, |
III.
Občan zvyklý na pořádek - IV.
Což je dělat ? že pak musím | |
V.
Ó, měsíčku, však ty ženské |
V.
Ô ma bonne lune, les femmes, |
Texte complet en tchèque
(1811-1870)
Archiviste de la ville de Prague. Profond connaisseur de la poésie populaire, doublé d'un savant archiviste, il donna dans sa Guirlande (Kytice, 1853), recueil de ballades et de légendes tchèques, une oeuvre mûre, étonnante de pureté d'intonation et classique dans son genre. Parmi ses travaux d'érudition, citons : Chansons populaires de Bohême, en 3 volumes, avec airs ; Cent contes populaires et légendes slaves ; Regesta diplomatica, nec non epistolaria Bohemiae et Moraviae, et des éditions de vieux monuments littéraires, notamment des oeuvres de Jean Hus.
KyticeDceřina kletba
Což jsi se tak zasmušila, |
GuirlandeLa mère maudite
Pourquoi es-tu devenue si triste, |
(1810-1836)
Au milieu de l'idylle patriotique de la poésie tchèque renaissante, le jeune auteur du poème Mai apparaît comme un étranger. Cet étudiant en droit, issu d'une famille d'ouvriers, mort prématurément, est le premier génie poétique de la Renaissance tchèque. Bien que subissant l'influence de Byron, Mácha (pron. Mâc'ha) a montré une hardiesse d'idées, une ardeur de passion et une maîtrise de forme inconnues jusqu'alors dans la poésie tchèque. Il s'attaqua aux plus inquiétants problèmes métaphysiques et il sut dire son désespoir, son horreur du néant et le désir inassouvi de son amour avec une intensité surprenante.
Incompris par ses contemporains, il fut salué comme un grand précurseur par les générations futures. Il a vécu trop peu pour pouvoir donner sa pleine mesure ; néanmoins, ses poésies lyriques, ses essais de roman (Les Tziganes) et de nouvelle (Mariette) ainsi que des fragments inachevés témoignent de son génie. Au point de vue de langue, Mai est une merveille de douceur musicale.
Byl pozdní večer - první máj - |
Il état tard - le premier mai - |
/ . . . / (fragment) |
/ . . . / (monologue du condamné à mort) |
/ . . . / |
/ . . . / (ici, monologue de l'auteur) |
Nynější ale čas |
Mais le temps présent |
Text complet en tchèque
(1835-1874)
Rédacteur au Národní Listy, ami de Jan Neruda, et l'un des fondateurs de la société d'artistes "Umělecká Beseda", Hálek fut un poète très admiré de son vivant. La facilité éloquente de ses débuts qui se ressentaient encore de l'influence byronienne, son optimisme souriant et idéaliste ont inspiré une série de poèmes épiques d'un romantisme échevelé et d'un lyrisme libertaire (Alfred, Mejrima et Husejn, Le Drapeau noir, Goar, La fillette de Tatra ). Les Chants du soir, recueil de courtes chansons d'amour très douces et même sentimentales, obtinrent un très grand succès. Cependant, les livres Dans la Nature et Les Contes de mon Village, affranchis du byronisme romantique, sont des oeuvres tout à fait remarquables, pleines d'un beau sentiment de la nature. Ses drames et tragédies en vers, écrits sous l'inspiration shakespearienne, n'eurent pas de succès. En revanche, ses contes et nouvelles villageoises, ses chroniques littéraires et ses croquis de voyages sont écrits avec beaucoup de verve, d'esprit et de coeur.
Mon vieux village dans la pleine tranquille
quand je te revois, pèlerin fatigué,
tu es toujours aussi beau pour me souhaiter la bienvenue
que le visage ridé d'une mère.
Je passe près de tes cabanes de couleur grisâtre :
partout où je regarde, un peu de mon coeur pousse un cri de joie,
de tous les côtés, ma jeunesse court à ma rencontre,
mon âme se souvient des bonds légers de mon jeune âge.
/ . . . /
(1834-1891)
(Pron. Nérouda). Né à Prague en 1834 d'une pauvre famille. Ayant terminé ses études de lettres, et après un court stage dans l'enseignement secondaire, il se consacra au journalisme et à la littérature et se trouva bientôt à la tête de la jeunesse littéraire, qui publia, en 1858, l'almanach intitulé Mai, en l'honneur du grand précurseur Mácha ; il fonda et dirigea plusieurs revues ; cependant son recueil de vers Fleurs de cimetière, mélange assez curieux de romantisme et d'ironie, écrit dans une langue encore assez dure, n'obtint pas de succès. Il en publia un choix très sévère dans son second recueil Le livre de vers qui contenait quelques inoubliables pièces consacrées à la mémoire de la mère que le poète venait de perdre.
Entré à la rédaction du Národní Listy, il devint bientôt un chroniqueur de premier ordre : il a créé ce genre dans la littérature tchèque. Il signa près de 2.300 causeries, réunies plus tard en volumes : voyage, politique, littérature, théâtre, arts et jusqu'aux questions de la vie quotidienne, il savait traiter toute chose avec esprit et humour. C'est à cette époque qu'il fit ses voyages à Paris (1863) et en Orient (1870), décrits dans ses brillantes causeries : Tableaux de l'étranger et Petits voyages. Observateur très pénétrant, il vint à la nouvelle réaliste et donna ses Arabesques, ses Terrassiers qui sont un petit chef-d'oeuvre de réalisme, et surtout, ses Contes de Malá Strana, puisés dans ses souvenirs de jeunesse et évoquant avec un art exquis ce pittoresque quartier de Malá Strana où il avait passé son enfance, et les moeurs des petites gens qui l'habitent.
Après un intervalle de onze ans, Neruda revint à la poésie par les Chants Cosmiques (1878), livre où une profonde réflexion philosophique s'exprime sous forme de petites pièces souvent humoristiques, sur le thème du ciel étoilé. Les Ballades et Romances, composées presque exclusivement sur des sujets tchèques, sont la pureté d'inspiration et la fraîcheur des légendes franciscaines des Fioretti. Les Simples motifs, petit livre de poésie lyrique très personnelle, sont une confession touchante, très noble dans son austère sobriété et sous laquelle on sent frémir la douleur humaine du poète dont la vie se consumait solitaire. Le dernier livre de Neruda, Les Chants du Vendredi Saint, la Bible du patriotisme belliqueux, du nationalisme épuré, constitue le testament du poète.
Tu t'en es allée et dans notre chambrette
je vis maintenant tout seul -
oh mère, ma douce mère,
comment vas-tu là-bas, sous terre ?
Notre petite chambrette
semble vaste, terriblement vide.
Contre sa voûte se cognent
des pensées, des chauves-souris.
Je me tiens blotti près du lit
et mes lèvres tremblent.
Hors d'ici, loin dans le monde !
Chez nous, j'ai si froid !
(1835-1923)
Ce poète a débuté avec le groupe de Neruda, dont il devint l'ami intime. Éloigné des luttes littéraires, il passa sa vie de tranquille professeur de lycée à Písek (Bohême). Pendant plus de soixante ans, une intarissable source de lyrisme, limpide et fraîche, jaillit de son âme : l'amour, la famille, la nature, la patrie, mais surtout la Slovaquie gémissante encore sous le joug magyar et puis les immenses forêts de la Šumava trouvèrent en lui leur poète tendre, doux et harmonieux. Une grande partie de son oeuvre appartient à la poésie épique, idylle ou conte en vers. Cependant, c'est dans la poésie lyrique qu'il a donné le meilleur de son talent. Les oeuvres complètes de Heyduk comptent 50 volumes.
Slovaquie, soeurette,
qui est-ce qui t'égale ?
Je sais, tu es sûrement
la plus belle des reines.
Ta mère, la Terre
t'a enfantée dans la douleur,
le soleil ardent éclaire
ton front mélancolique.
Oh ! Cette divine flamme,
qu'elle est éblouissante,
lorsque les cimes des Tatras
s'illuminent d'une lueur rouge !
Oh ! Ces beaux yeux gris !
Celui qu'ils blessent
voudrait mourir de désir
là-bas, sur le Kriváň.
La bouche de pourpre -
quand elle se met à chanter,
elle fait épanouir
sentiments et pensées.
Je sais : La colère et la fierté
t'ont réduite en esclavage ;
on veut mettre au tombeau
la plus belle des reines.
Mais un héros viendra
et la force de son amour
finira par te libérer,
ô belle créature !
Puis aucune haine
ne pourra plus vous désunir.
Oh ! Puissé-je être le témoin
de votre mariage !
(1846-1908)
Avec le romancier Alois Jirásek, Čech était le dernier des poètes vraiment populaires et aimés de toute la nation. Héritier de Kollár et de Hálek, il clôt glorieusement l'époque romantique, idéaliste, d'inspiration patriotique.
La plus grande partie de son oeuvre poétique appartient à la poésie épique : sa belle éloquence un peu académique, qu'animent de brillantes descriptions, se plaisait surtout dans le genre du conte poétique ; il maniait avec une maîtrise incomparable ce genre aujourd'hui désuet et s'en servait tantôt pour des compositions historiques et patriotiques comme Les Adamites (1871) ; Václav z Michalovic, Dagmar, tantôt pour de charmantes fantaisies satiriques ou humoristiques ou allégoriques comme Primevères, Hanuman, Le Lutin, La Vérité, tantôt pour des poèmes philosophiques et politiques comme Europe et Slavia, ou bien pour composer un petit roman à tendance patriotique et sociale Le Forgeron de Lešetín, qui fut confisqué par la Censure et circulait subrepticement.
Les mêmes idées généreuses inspirent ses poèmes lyriques, comme Chants du matin, Nouveaux chants ou les Prières à l'Inconnu. Les Chants d'un Esclave (1894), qui atteignirent à une trentaine d'éditions en peu de temps, eurent la portée d'une action politique.
Debout, ô peuple asservi, debout !
Du joug avilissant libère donc ta nuque !
Lève-toi ! Écrase ce vampire noir
Qui, depuis si longtemps, boit ton sang !
Frappe cette canaille étrangère qui fait une débauche éhontée
Avec le butin arraché à ce pays
Et qui, pour t'humilier, a exposé au haut d'une tour
Les têtes les plus chères de tes héros !
Frappe cette racaille qui se chauffe, couverte de soie et d'or,
Au sein de ta patrie,
Tandis que tant de tes meilleurs fils
Prennent le chemin de l'exil, le bâton du mendiant à la main !
/ . . . / (fragment)
(1845-1912)
Après une jeunesse vagabonde - il connut l'Amérique du Nord - ce fils de paysans du centre de la Bohême se consacra à la littérature. Directeur de la revue Lumír qui fut l'organe du groupe cosmopolite, Sládek créait, pour ainsi dire, le lien entre les tendances nationales et cosmopolites. Comme poète, il se rattache à la tradition de Čelakovský et de Neruda par la simplicité sincère de la forme et la virilité profonde et sérieuse de son inspiration. Comme Robert Burns, dont il donna une très belle traduction, il chantait la glèbe, l'âpre odeur de la terre natale, la rude besogne et les joies saines du campagnard. Armé d'un stoïcisme souriant, fort de sa foi et de sa confiance en Dieu, le poète a bravé, pendant de longues années, une douloureuse maladie sans fléchir, et, grave et souriant, il attendait l'heure suprême : „Pour mon amour des pauvres, pour l'élan de mon désir, pour la beauté de mon rêve... pour mille nuits passées dans le tourment et dans l'insomnie, pour la lourdeur de mes jours, qu'il me soit pardonné.”
Citons, parmi les recueils de poésie de Sládek : Chansons paysannes et Sonnets tchèques (1889) ; Au Soleil d'hiver (1897) ; Au Crépuscule (1907) et rappelons son bel effort infatigable de traducteur de Shakespeare, de Longfellow, de Bret Harte et de Mickiewicz.
La bataille est perdue et l'armée en déroute.
Trois cents braves encore, près d'un mur, sont restés
Vous résistez en vain. Rendez-vous, entêtés !...
Mais, appuyés au mur, aucun brave n'écoute.
Autour d'eux l'ennemi s'étend de tous côtés...
Ils voient, là-bas, des monts que le lointain veloute,
Des fermes aux murs blancs, des chaumières, la route...
Ils résistent toujours, à leur mur accotés.
Les piques, les mousquets résonnent et bataillent.
Les chênes, dans le parc, se brisent en tremblant.
Un des braves sur deux meurt contre le mur blanc
Un sur deux, mais debout, meurt contre la muraille.
Lâche, leur prince a fui. La Bohême est à bout,
Mais dans ses héros morts elle reste debout.
(1841-1901)
Descendant d'une famille alsacienne immigrée en Bohême au XVIIIe siècle, et fils d'une mère juive, Jules Zeyer se sentait comme étranger au milieu d'un peuple qu'il aimait cependant d'un amour douloureusement profond. Toute sa vie, il oscilla entre ces deux influences ataviques, l'idéalisme chevaleresque de l'Occident et la sensualité ardente de l'Orient, auxquelles il faut ajouter un troisième élément, dû au milieu et à l'éducation, celui de la rêverie slave. Une aversion presque maladive pour la réalité moderne, pour tout ce qui n'est pas le rêve, fournit l'explication de son oeuvre qui embrasse toute l'étendue de la civilisation humaine depuis les vieilles légendes celtiques, russes ou islandaises jusqu'à la poésie des troubadours, des poésies religieuses bouddhiques aux romans de chevalerie, des traditions druidiques à Sainte-Thérèse.
Les poèmes épiques dus à cette inspiration du passé forment la plus grande partie de son oeuvre, qu'il appelait lui-même Images restaurées ou plutôt renouvelées. Ainsi, il compose de vastes cycles épiques de l'histoire de son pays : Vyšehrad, L'Arrivée de Čech, L'Épopée Carolingienne qui reprend le thème de la Chanson de Rolland et des chansons de geste, ou bien des légendes comme la pieuse Légende de Saint Brandan ou de Soeur Pascaline, Le Chant de la vengeance d'Igor ou des contes en vers, comme Les Annales de l'Amour. Souvent, délaissant les vers, il se fait poète en prose ; ainsi, il crée, dans son Jan-Maria
Ploïhar, un beau type de décadent tchèque avant la lettre.
Parmi ses drames poétiques, citons au moins Neklan, inspiré par la mythologie tchèque et Radouz et Mahouléna, très beau poème scénique, évoquant, avec une rare force dramatique, un conte slovaque. Vers la fin de sa vie, Zeyer tomba dans une sorte de mysticisme catholique dont on trouve les traces dans ses proses : Légendes du Crucifix et dans son dernier grand poème Mémoire de Vít Choráz.
La production proprement lyrique ne présente qu'un volume (Poésies). Avec Vrchlický, il a le plus puissamment contribué à libérer la poésie tchèque de l'influence allemande, à la rapprocher de la pensée occidentale.
Le pèlerin s'arrêta sur la route ;
fatigué, il s'appuya sur son bâton,
ses regards parcouraient tout l'horizon ;
poussant un soupir, il murmura :
„Ô ma blanche maison au fond du vieux jardin,
là-bas, au delà du rempart des montagnes abruptes,
voilà que les hirondelles reviennent, venant du sud,
elles viendront retrouver leurs vieux nids
sur les corniches et tu leur diras la bienvenue.
Mais moi, je ne reviendrai plus jamais,
je ne franchirai plus ton seuil qui m'est si cher,
sur lequel celle qui m'a donné la vie
tous les jours, au soir, venait s'arrêter
pour regarder vers les étoiles à travers le branchage.
Maintenant, pour la défunte, les astres sont le seuil
au delà duquel se cache le mystère de Dieu ;
Les regards de ceux qui sont partis sont remplis
d'une lueur indicible. Mais leurs ombres
pèsent, hélas, si lourdement sur les coeurs
de ceux qui sont encore là à attendre la mort.
Ô ma blanche maison au fond du vieux jardin
dis-moi si l'âme des choses ressemble
à notre âme humaine qui ne peut
jamais apprendre à oublier ?
Ô ma blanche maison au fond du vieux jardin
dis-moi, es-tu triste quand dans tes murs
résonne le pas des étrangers ? Et n'attends-tu pas
que je te revienne comme ces hirondelles
pour reprendre sous ton vieux toit
mes vieilles, belles rêveries ? Pour écouter
les paroles de bénédiction de la défunte
qui planent toujours dans ton cher espace
et qui, la nuit, quand des gens-là s'endorment,
se mêlent doucement aux bruits du feuillage ?
Ainsi parla le pèlerin, et une larme tomba
dans la poussière de la route sans fin
qui partait au loin. Où allait-elle ? Hélas, où ?
(1853-1912)
Vrchlický (pron. Veurkh'litski) est, sans conteste, la plus grande figure dans l'histoire de la poésie moderne tchèque et un des plus vastes esprits du dix-neuvième siècle. Doué d'un génie poétique prodigieux et d'une fécondité qui fait songer à Lope de Vega, il a laissé une oeuvre qui forme une bibliothèque : plus de cent ouvrages originaux dont une soixante de volume de poésie, une trentaine de pièces de théâtre, une série de livres de critique littéraire ; son oeuvre de traducteur dépasse encore en importance son oeuvre originale.
Poète épique, Vrchlický a donné une longue série de rhapsodies, mythes, légendes, ballades et romances embrassant toutes les étapes de l'histoire et de la pensée humaines, pour en dégager la philosophie de l'évolution de l'humanité ; c'est ce qu'il appelle les Fragments d'Épopée, qui forment un pendant à la "Légende des siècles" de Victor Hugo. Depuis le chaos primitif, depuis les mythes antiques, tous les pays, toutes les religions, toutes les civilisations ont trouvé leur écho dans ce vaste ensemble : une foi généreuse dans le triomphe final de l'esprit sur la matière, de l'amour sur la douleur et le désespoir : Hilarion, Twardowski, Bar Kochba, Chanson de Vineta, ...
Poésie méditative : Vittoria Colonna, Symphonies, Sphinx, Héritage de Tantale, Bréviaire de l'homme moderne, La Vie et la Mort, Chardons de Parnasse, Chants du Pèlerin, Taches au soleil, Pas silencieux, Couchers de soleil, J'ai laissé passer le monde...
Théâtre : Une nuit au château de Karlštejn (comédie), Hippodamie (mis en musique par Fibich), Julien l'Apostat.
Traductions : Hugo (Hernani, Anthologie), Leconte de Lisle (Caïn, Poésies), Baudelaire, Corneille (Le Cid), Rostand (Cyrano), A. Dumas (Les trois mousquetaires), Dante (La Divine Comédie, La Vie nouvelle), Pétrarque (Le Canzonière), Tasse (La Jérusalem délivrée), Arioste (Le Roland furieux), Calderon (Romances sur le Cid), Verdaguer (L'Atlantis), Camoëns (Les Lusiades), Sheley, E.A. Poe, Tennyson, Walt, Whitman, Byron, Goethe (Faust), Mickiewizc (Les Ancêtres), ...
Sur ses genoux, Septime tient Akmé enivrée,
il sent sa gorge se soulever, ardente ;
midi ; silence dans la maison.
Au jardin, la cigale chante sur un arbre desséché.
Akmé, troublée, demande ce qui c'est que l'amour.
Il n'y a personne. Seul, dans le vieux mur, le masque d'un faune
les surveille de son visage de pierre.
Lentement, Septime dégrafe la simarre d'Akmé.
Il voit, tourterelles dans leur nid, la gorge innocente :
Akmé hésite, tremble de peur.
Les ailes des tourterelles en sont tout empourprées.
Akmé, troublée, demande ce que c'est que l'amour.
Dans le vieux mur, le masque du faune,
ému, rêveur, se met à verser des larmes.
Silence. Par moments, le bruit des baisers s'envole.
tourbillon de pétales de roses, emporté par le vent ;
la flûte sonne au loin, dans les rochers ;
l'eau coule, paresseuse, dans le porphyre de la fontaine.
Akmé ne demande plus ce que c'est que l'amour.
Dans le vieux mur, le masque du faune
au soleil de midi éclate d'un rire bruyant.
(1864-1942)
Un romantisme sceptique, où les influences de Musset se mêlent à un rationalisme ironique, caractérise les premiers vers de Machar (pron. Mac'har) réunis sous le titre de Confiteor.... Le séjour dans le milieu étranger et hostile de Vienne (il y était pendant 17 ans un employé de banque) l'a amené à passer de l'individualisme subjectif aux problèmes nationaux et sociaux : Tristium Vindobona (1893), beau livre d'amère et ardente poésie politique, puis Des roses devraient fleurir ici..., petits drames lyriques de la vie des femmes ; Magdeleine, un roman en vers qui traite la question de la réhabilitation d'une courtisane.
Se détachant peu à peu du présent, le poète évoque du passé : Golgotha, Aux rayons du Soleil hellénique, Le Poison de Judée, Les Barbares, Les flammes païennes, Les Apôtres. Il y donne la synthèse philosophique des civilisations mortes. Le livre intitulé Eux est consacré à la Révolution française, tandis que le recueil Lui chante Napoléon Ier.
Chroniqueur fécond et polémiste redouté, il publia une longue série de livres où il réunit ses esquisses tracées en marge des événements au journal Čas (Le Temps) ; très personnel, très méchant souvent, spirituel toujours, il y montre un criticisme impitoyable. Dans l'évolution intellectuelle de la Bohême le rôle de Machar a été des plus importants et son influence des plus fécondes.
C'est vous que je cherche, ô mon Seigneur martyrisé,
de par le monde - je cherche sans trouver ;
les hommes ici-bas, autant des tigres ou des serpents,
rien que le troupeau que le démon fait paître.
Et cependant, - si vous daignez habiter le monde -
seule, l'âme humaine pour être Votre demeure,
une âme comme celle de Luther, homme et serviteur de Dieu,
ou Melanchton, cette abeille de Votre sagesse.
Ô Seigneur martyrisé, je ne suis pas digne
que tu entres sous mon toit. Mais toi, Amour,
tu entres quand même. Dans les plus beaux moments
je sens que dans la chambre de mon âme tu daignes te reposer,
de regarder par mon oeil,
de respirer, doucement, dans ma respiration.
C'est pour cela que je me permets, ô Seigneur plein de grâce,
de prêter mes traits à ta très Sainte tête.
(1868-1929)
Le plus grand poète spiritualiste tchèque a passé sa vie de philosophe solitaire en tant que simple instituteur d'école primaire d'une petite ville. Bien que membre de l'Académie tchèque, il ne venait presque jamais à Prague et lorsque l'Université lui offrit une chaire, le poète refusa de quitter sa solitude.
Son spiritualisme mystique est de la plus haute envolée, nourri de la pensée des Hindous autant que par le mysticisme chrétien et par les sciences exactes. S'étant libéré de tout égotisme et pessimisme, ayant vaincu l'obsession de la mort et de la douleur, c'est par l'amour, par le travail qu'il arrive à l'apaisement. Une lumière surnaturelle inonde l'âme du poète qui a compris la loi mystérieuse de l'harmonie cosmique, la loi de l'unité intérieure de toute la création. Cette conception moniste conduit le poète à une religion de l'amour, car, dit-il, "il n'y a qu'une seule unité mystique dans les millions d'êtres qui ont existé, qui existent et qui existeront".
Jamais, avant Březina, la poésie tchèque n'avait atteint à cette élévation de pensée ; jamais elle n'était arrivée à une telle splendeur d'images, à une telle hardiesse d'architecture, à une telle puissance d'instrumentation, jamais la langue tchèque n'avait été maniée avec plus d'éclat et avec plus de pieuse maîtrise. Avec Mácha et Vrchlický, Březina marque le sommet du lyrisme. Lointains mystérieux, Aube à l'Occident, Vents venant des pôles, Constructeurs du Temple, Les Mains, ces cinq recueils englobent toute la pensée du poète. Un volume d'essais, La musique des sources, écrit en une prose somptueuse, est une sorte de commentaire des vers de Březina et ouvre des perspectives sur le travail du poète.
Jarní noc
Noc tiše zpívala, šum prvních zelení a jarních vod |
La nuit de printemps
La Nuit chantait doucement ; le bruit de la première verdure et les eaux de printemps |
(1864-1928)
Né à Pacov, près de Tábor (Bohême). Après ses études à Písek et à Prague, il a été fonctionnaire de la ville de Prague (bibliothécaire). Depuis 1920 cloué dans un fauteil par une grave maladie, il ne cessa pas de créer jusqu'à sa mort.
Ce grand poète symboliste a débuté vers 1890 par de fines poésies réalistes et par des paysages impressionnistes (Strophes réalistes, Mon pays). Il passe, avec Pitié et Révolte (1896), à un impressionisme nerveux qui s'accentue et s'approfondit dans le lyrisme et le pessimisme : Âme brisée, Tristesses apaisées (1897).
Puis, quittant les hauteurs glacées des solitudes où il s'était réfugié, il revient vers l'homme. Avec une force de visionnaire, il salue, en une éloquence quelque fois un peu diffuse, un avenir plus heureux pour l'humanité, l'utopie d'une société nouvelle, fondée sur la solidarité et la fraternité. Avec un lyrisme profondément humain et une prodigieuse douceur musicale, Sova chante sa souffrance personnelle, son amour et ses haines, Aventures du Courage, Vers lyriques de l'amour et de la vie, pour atteindre, dans les Luttes et Destinées (1910) à des accents d'un optimisme hymnique et spiritualiste, analogue à celui de Březina.
Ayant vaincu sa souffrance humaine, le poète retrouve la joie simple de ses souvenirs d'enfance. Il s'incline humblement devant Dieu, il se penche vers la terre natale. Une sécurité ardente, une vague d'amour pour tous les vivants, une foi généreuse dans l'avènement final de la fraternité humaine baignent les derniers recueils du poète (Fraternité saignante, Le Printemps du poète, Poème d'un coeur non égoïste, Espérances et douleurs).
Z mého krajeRybníkyTy české rybníky jsou stříbro slité, |
Mon pays (1893)Les étangs de Bohême
Les étangs de Bohême ont l'air d'argent fondu |
Je n'ai jamais été tant aimé que par mon enfant...
Et c'est à l'heure tardive, lorsque ma tête blanchit de soucis...
Poète toujours inconnu, comme du temps de ma jeunesse, je sais bien
Que la gloire m'a évité, polie, mais prudente...
À présent que les soirs arrivent trop tôt, je me retire dans mon coin
Et serrant bien contre moi mon fils qui demande que je l'amuse
Je lui racconte les joies folles de ma jeunesse,
J'évoque le bruit des forêts et le mugissement des vaches.
Et faisant revivre les histoires des cabanes écroulées,
Je file des contes antiques de bonnes et mauvaises heures,
Je marche sur la crête des montagnes et dans la terre glaise jaune des tuileries,
Je traverse les vallées chaudes, je marche à l'ombre fraîche des aulnes,
Je me repose près des maisons désertes ; là, avec mon fils, nous nous partageons le pain
Et dans des sources cristallines nous trempons notre pauvre verre...
(1867-1958)
Petr Bezruč (pron. Bezroutch), pseudonyme de M. Vladimír Vašek, fonctionnaire des P.T.T. à Brno, est l'auteur d'un seul volume de vers : Chants de Silésie, mais ce livre est incomparable par se grandeur tragique. Paru sous un pseudonyme impénétrable, ce fut, vers 1900, un cri d'alarme et de désespoir venant du pays noir de houille et rouge de hauts-fourneaux d'Ostrava, où 70.000 mineurs tchèques agonisaient sous le triple joug de la germanisation, de la polonisation et de l'exploitation sociale par des propriétaires juifs.
Tel un prophète de l'Ancien Testament, Bezruč surgit pour secouer les consciences endormies, pour réveiller la vigilance des gens de Prague et pour lancer au visage de l'oppresseur la terrible accusation de milliers de parias.
Toute la souffrance de sa race condamnée à mort s'est concentrée dans le coeur du poète ; il la chante en rythmes frustes, martelés, en une langue rude, colorée de patois silésien. Sur la corde unique de son violon, le rhapsode anonyme du désespoir, de la haine et de la révolte a joué quelques mélodies qui marquent un des sommets de la poésie sociale de l'époque.
Slezské písněČervený květ
Za temným oknem, v květníku sivém |
Chants silésiensLa fleur rouge
À une obscure fenêtre, en un pot grisâtre, |
Slezské písněMaryčka Magdónova
Šel starý Magdon z Ostravy domů, |
Chant silésiensMaryčka Magdónova
Le vieux Magdón revenait d'Ostrava : |
Fi donc ! Quel hideux fantôme !
Voilà ce que diront les édiles de la ville d'or.
Voilà ce que dira l'éminent chef de la nation.
Les dames patriotes secoueront leurs petites têtes
Et Rothschild et Gutmann et le Compte Šonovský, Wilczek
Et le Sérénissime Sire, le marquis Géro
Diront la même chose, lorsqu'ils m'auront vu me lever
De la masse de soixante-dix mille. Que de coups de fouet !
Tels les hauts-fourneaux de Vítkovice mes yeux flamboyaient,
Un manteau sanglant pendait à mes épaules.
Sur l'une, je portais l'école allemande ;
Sur l'autre, je portais l'église polonaise.
Dans ma lourde droite je serrais un marteau
(un bloc de houille m'avait enlevé ma main gauche,
la flamme m'avait brûlé un oeil).
Et dans mon coeur, la malédiction et la haine des soixante-dix mille.
Dieu sait si je suis hideux !
Au loin, je répands une odeur de cadavre,
Sur mes bras, sur mes jambes ma chair est fendue
- tu connais les forges de Baška ? Mon oeil flamboyait,
Un manteau sanglant pend à mes épaules,
Ma droite porte un marteau de mineur
- un bloc de houille m'avait enlevé ma main gauche,
La flamme m'avait brûlé un oeil.
Cent assassins du Côté Bleu se cramponnent à mon dos
(Comme des rats furieux ils mordent ma nuque)
Cent juifs polonais se cramponnent à mes reins.
Riez donc, mon Dieu, riez donc ! Qui, c'est bien moi,
Moi, Pierre Bezruč, Bezruč de Těšín,
Barde d'un peuple asservi.
Que fait la jeunesse de la Vltava d'une chauve-souris captive ?
Comment les Romains ont-ils élevé Spartacus ?
Ainsi, je me tiendrai debout - depuis longtemps mon peuple a péri -
Cent ans, je me tiendrai debout, droit contre le ciel,
Je toucherai l'azur de ma nuque massacrée,
Moi, Pierre Bezruč, Ahasvérus de la conscience des Tchèques,
Fantôme hideux et barde d'un peuple disparu.
Rotschild, Gutmann, ... - propriétaires des mines et des forges
Géro - était un baron allemand qui a exterminé les Slaves de Poméranie, mais le poète désigne ainsi Frédéric de Habsbourg
Côté Bleu - signifie évidemment la Prusse
(1877-1931)
Poète, romancier, dramaturge, journaliste, polémiste, homme politique, Dyk est une des plus intéressantes physionomies de la littérature tchèque. Dès ses débuts, il se distinguait, parmi une génération qui affectait de se désintéresser de la politique, par un sentiment patriotique très aigu qui devait, plus tard, faire de lui le poète de l'énergie et de la fierté nationale et lui assigner un rôle rappelant celui que Maurice Barrès a joué en France.
L'idée de l'honneur de la Nation est comme l'axe de sa pensée et de sa poésie. Pendant vingt ans, il poursuivit, par de cinglants sarcasmes, tout ce qui était mesquin et lâche dans la vie publique tchèque, brandissant très haut le drapeau de l'indépendance nationale. "Maudite soit la terre qui porte les lâches, s'écriait-il, et la mère qui leur donne la vie ! Maudit soit le bourreau qui martyrise sa victime, mais trois fois maudit qui se laisse martyriser !" Il continua à défendre cet idéal pendant la guerre et du fond de la "tour de mort" de Vienne où il était emprisonné, il adressait à la nation son admirable missive : La terre parle, qu'on lira plus loin.
L'appel du poète fut entendu, Dyk rentra dans son pays. Il siégea à l'Assemblée Législative, puis au Parlement, pour passer au Sénat, où il continua à être le gardien de l'honneur national. Il ne faudrait cependant pas que l'homme politique fit oublier le poète, auteur de chansons lyriques d'une ironie douloureuse, libéré, tendre sensitif doublé d'un froid analyste, irrémédiable sceptique qui a su exprimer son amour de la chimère en des chansons d'une concision laconique, des ballades symboliques d'une exquise finesse spiritualiste ; ni le romancier d'un génie très large qui a fixé, pour l'avenir, quelques étapes de l'évolution morale et politique de son pays, et l'auteur dramatique, un des plus originaux de son temps, qui base son théâtre sur le contraste tragi-comique de la vie et du rêve.
Citons, parmi ses livres de poésie : A porta inferi (1897), Force de la vie (1898), Vanités, L'amie de sept brigands (1906), Guiuseppe Moro (1911), Satires et sarcasmes (1906), Contes de mon village (1910), Campagnes perdues (1914), Pas lourds et légers (1915), Nuits de Chimère (1917), Ou bien... (1918), Fenêtre (1921), La neuvième vague (1930).
A porta inferiOtázky
Já k svému duchu kdysi děl : |
A porta inferiQuestions
À mon esprit un jour j'ai dit : |
Noci chiméryPoražený
Zlomený oštěp Quijota, |
Les nuits de la ChimèreChanson de la pièce "Don Quichotte assagi" : Vaincu
La lance de Don Quichotte est cassée. |
OknoZemě mluví
Tvrdá matka byla jsem tobě. |
FenêtreLa terre parle
Je te fus une mère rude. |
(1900-1958)
Le chef de l'école poétique a débuté, en 1922, dans le groupe qui se donnait le titre de Devětsil (Les Neuf forces, nom tchèque d'une fleur de printemps : Pétasiles), par le recueil Le Pont, dont le titre exprimait sa conception de la poésie qui est un pont entre le subconscient et le conscient, entre la réalité et le souvenir. Cette poésie qui tenait du rêve et de l'hallucination créait une réalité absurde, mais chatoyante et mélodieuse. En 1924 Nezval publia La Pantomime, livre très curieux, plein à la fois de réminiscences et d'originalité, livre qui est une confession et un programme. C'est en se basant sur ce livre que le théoricien du groupe Charles Teige a formulé, avec Nezval, le manifeste du poétisme qui rompait d'une façon définitive avec la poésie prolétarienne, qui voulait renouveler la joie, la fantaisie, la vie sentimentale et qui réclamait la poésie pure, jeu de belles paroles, féérie d'images sans tendance et sans idéologie. Il y a, dans cette théorie, des souvenirs du futurisme et des parentés étroites avec le dada et le surréalisme. Quoi qu'il en soir, le poétisme rendit la poésie tchèque, qui devenait dangereusement assujettie aux conceptions communistes, à la vie et à la liberté.
Nezval est doué d'une facilité d'écriture qui rappelle celle de Jaroslav Vrchlický, dont il possède aussi la virtuosité de forme. À côté des petits bouts rimés insignifiants, à côté de blagues apparentes, il y a une richesse étonnante d'images nouvelles, de petites merveilles de grâce et d'harmonie musicale. La fantaisie difficilement contrôlable, qui déconcertait souvent à ses débuts, se plie volontiers à la logique, le caprice cède le pas à la discipline. Il en résulte des poèmes d'une forme régulière, voire des sonnets ou des rondeaux, où s'exprime nom plus le prestigieux rimeur, mais un être humain qui a connu des angoisses et l'horreur de la mort.
Citons, parmi les nombreux recueils : Poèmes de la Nuit, Adieu et le Mouchoir, 52 ballades de l'éternel étudiant Robert David, Cinq minutes de la ville, Les villes et les bleuets. Les pièces de théâtre ayant le plus de succès : Les amants de kiosque, Manon Lescaut, Les trois mousquetaires, Le soleil se couche encore sur l'Atlantide. Les livres de souvenirs : De ma vie, La rue Gît-le-Coeur, Moscou invisible. Les traductions : Rimbaud, Mallarmé, André Breton, E. A. Poe, Heinrich Heine, Pablo Neruda.
Sur ce site : Edison, Poe, Le corbeau et
La romance du boureau Jan Mydlář.
BlíženciKrajina
Mezi jahodami v lese |
JumeauxPaysage
Un divan de soie |
Anděl strážný
V tvém loži řádí zimnice |
Ange gardien
La fièvre sévit dans ton lit |
Básně na pohledniceVajíčko
Jak snáší křepelka vejce na zimu Cukr
Cukr sněženka kuchyně Deštník
Deštníku optimista nosí tě rád v duši Píšťalka
Ve světě slavných milostnic a králů |
Poèmes écrits sur cartes postalesL'oeuf
Telle une caille qui pond des oeufs pour l'hiver Le sucre
Le sucre perce-neige de cuisine Le parapluie
Un optimiste aime à te porter dans son âme, ô parapluie ! Le sifflet
Au milieu des célèbres amoureuses et des rois |
Básně nociEdisonI
Naše životy jsou truchlivé jak pláč |
Poèmes à la NuitEdisonI
Notre vie est telle qu'un pleur morne et terne. |
Il existe une traduction réalisée en collaboration avec l'auteur, celle de François Kérel : texte complet
Buveur de cruautés qui traquent et qui broient |
Nos vies nous consolent comme le rire |
Sbohem a šátečekRacheli
Jsem unaven Racheli Sbohem a šáteček
Sbohem a kdybychom se nikdy nesetkali |
L'Adieu et le MouchoirRachelJe suis fatigué Rachel L'Adieu et le mouchoir
Adieu et si c'était pour ne plus nous revoir |
E. A. Poe : HavranJednou o půlnoci, maje horečku a rozjímaje |
E. A. Poe : The raven
Once upon a midnight dreary, while I pondered, weak and weary, |
Une page spéciale est dédiée à ce poème. Vous y trouverez les traductions complètes.
(1901-1986)
Fils d'un faubourg populaire de Prague, Seifert était prédestiné à devenir le poète du prolétariat. Il en a adopté le point de vue sans essayer de le juger et il 'a exprimé avec une spontanéité brutale et presque barbare de naïveté, parfois avec un primitivisme criard et bariolé : La Ville en larmes (1922) et Rien que l'amour. Après un voyage à Paris, embrassant la doctrine poétiste, il écrit Sur les ondes de T. S. F., inauguré par une belle apostrophe de Guillaume Apollinaire. Oubliant les programmes politiques, il laisse parler son lyrisme frais. Sans avoir la richesse de Nezval, il trouve souvent des vers d'une beauté limpide et teintés d'une profonde souffrance humaine. Seifert n'est pas un penseur, mais c'est un coeur de poète.
Le rossignol chante mal (1926, intitulé ainsi par une citation de Cocteau) est influencé par le Dada et le surréalisme, ainsi que par des slogans politiques, chers à V. Maïakovski. Déçu par Moscou, Seifert est exclu du parti communiste (1929). Le poète devient plus discret et sa mélodie, si elle a perdu en sonorité, a gagné en douceur et en finesse. De ses livres, citons au moins Éteignez les lumières (1938, exprimant la crainte de l'avenir après l'accord de Munich), L'éventail de Božena Němcová (1940), Prague vêtue de lumière (1942), Mozart à Prague (1951), Maman (1954).
Ayant désapprouvé l'invasion soviétique en 1968, il n'est pratiquement plus publié ; ses mémoires Toutes les beautés du monde ne paraissent qu'à l'étranger. Cosignataire de la pétition "Charte 77" sur les droits de l'homme (1977), son nom fait apparition dans la presse occidentale. Peu avant sa mort, malade, Seifert reçoit le prix Nobel (1984).
Une longue rivière traverse la ville,
ses rives sont reliées par sept ponts,
mille belles filles se promènent sur le quai
et toutes sont différentes.
On va d'un coeur à l'autre pour se chauffer les mains
dans des rayons d'un grand amour ardent,
mille belles filles se promènent sur le quai
et toutes sont pareilles.